Une branche a bougé, sur l'arbre, là-bas, au milieu de la prairie. Ben oui, et alors ? Il y a du vent, c'est normal.
Oui, mais la voilà qui s'envole… Curieux, on n'est quand même pas en plein ouragan. Et puis, un bout de bois qui chante, c'est pas normal… Notre branche, dressée sur un rocher, pousse une curieuse phrase grinçante : " quinquinquinquin…. "
Bon, alors : une branche qui s'envole, qui chante, et qui se dresse toute seule sur un rocher, ça ne colle pas. On lève les jumelles : la branche a des plumes ! Compris : notre branche, c'est un Torcol.
C'est encore un piaf bizarre, le Torcol fourmilier.
C'est un Pic, mais il n'a rien d'un Pic : silhouette svelte à longue queue, bec presque court, pattes courtes, vol typique de passereau. Sans parler du reste : c'est bien le seul de la famille qui ne grimpe pas le long des troncs, et qui ne creuse pas de trous dans les vieux arbres pour y nicher. N'importe quoi, cet oiseau. En plus, il est difficile à voir : c'est peu dire. On le croirait recouvert d'écorce, tant son plumage imite bien la couleur et les motifs des branches d'arbres : de loin, il est impossible de le distinguer d'une vulgaire branche morte. Il n'y a guère que la grosse rayure dorsale, le dessous jaunâtre et les bandes claires sur la queue qui puisse le faire repérer : la galère de l'ornithologue. Encore heureux qu'il ait ce chant, si typique, ce " quinquin " métallique que l'on repère à plusieurs centaines de mètres.
Faut quand même être taré pour s'occuper de ce Torcol.
Et pourtant, c'est encore un de ces oiseaux qui fascinent, qui hypnotisent presque. Lorsqu'on sait qu'il existe et qu'il est là, on ne le lâche plus : est-ce parce qu'il est si difficile à voir ? C'est vrai que l'oiseau est pour le moins étrange : posé à terre, il se promène la tête dressée, agité de mouvement mécaniques, quand il ne massacre pas une fourmilière à coups de bec. Lorsqu'il se repose, il reste de longues heures perché sur un arbre, dans cette position de branche morte qui le rend invisible. Parfois, dérangé, il allonge le cou, lui fait décrire presque un tour complet, pendant que les plumes de sa tête s'ébouriffent ; soudain il se tasse sur lui-même dans un souffle à la manière d'un chat effrayé, puis reprend sa position : on dirait alors presque un serpent. Rarement, on l'aperçoit en vol, à faible hauteur, décrivant de longues ondulations à la manière des Fauvettes.
Son arrivée signe le début du mois d'avril. Rapidement, son chant résonne
à nouveau dans les oliveraies Méditerranéenne, les prairies de montagnes, les bocages. Parfois, il ne revient pas : c'est vrai que le Torcol est devenu rare, et qu'il est assez capricieux : on n'est jamais sûr de le revoir nicher. Et puis parfois aussi, il apparaît, brusquement, là où on l'attendait le moins. Alors, il commence à chanter, bientôt rejoint par une partenaire. Comme ce délicat se refuse à user son bec pour creuser sa propre cavité, il squatte les anciennes. Pas trop petite, la piaule : elle doit contenir une dizaine d'œufs ! Les parents se relaient pour couver, pendant environ douze jours. A la naissance, le couple se fait discret et cesse de chanter : l'ornithologue devra se débrouiller pour le repérer à vue ; quant aux petits, ils se passeront de berceuse. D'ailleurs, il n'y a plus le temps de vocaliser : il faut nourrir sans relâche cette nichée exigeante, qui demande près de 200 repas en une seule journée… C'est le carburant nécessaire pour que les jeunes s'envolent, trois semaines après la naissance. Là, il faudra apprendre rapidement à se débrouiller : dans une semaine ou deux, les parents lâcheront leurs gamins, qui n'auront qu'à se débrouiller pour rejoindre l'Afrique, autour de la mi-août.