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LE JASEUR BOREAL
Le vieux bonhomme qui vit au coin de la rue, entre une friche et un dépôt de la SNCF, n'en croit pas ses yeux : une bande de trente oiseaux beige a investi son minuscule verger, et voltige entre les pommes noircies qu'il n'a pas eu le courage de ramasser, à l'automne, pensant qu'elles feraient sans doute le bonheur de quelque Grive ou Merle égaré. Mais il n'avait pas imaginé un seul instant que ces drôles d'oiseaux huppés, au plumage bariolé, pourraient lui rendre visite… Pas même la veille, pendant le 20 heures, lorsqu'il regardait d'un air distrait un ornithologue parlant d'une extraordinaire invasion de Passereaux nordiques dans toute l'Europe de l'Ouest. Le vieux se souvient bien de leur nom, il en a bien rigolé hier soir : Jaseur boréal… Et voilà-t'y qu'ils sont là, les Jaseurs, chez lui, dans sa vieille maison paumée entre un entrepôt, une jachère et une usine d'emballages.
Le grand-père a sorti, pour la première fois depuis vingt ans, son appareil photo mécanique complètement empoussiéré, et déroule une pellicule qui traînait dans un tiroir sur ces drôles d'oiseaux. La photo ne l'intéresse pas, mais il n'a pas pu résister : ils sont quand même jolis, ces piafs, sous leur petit air de bandits masqués à houppettes… L'un d'entre eux se pose tout près, sur un pot de fleur : sous la barre blanche qui coupe son aile noire, sept ou huit appendices rouges montrent que c'est un mâle ; c'est ce que le journaliste a dit à la télé hier soir. A la vue de l'appareil photo, l'oiseau s'envole, découvrant une large bande jaune au bout de sa queue ; le vieux se sent tout honteux de l'avoir fait fuir. Mais le Jaseur est confiant, il revient, se pose sur le rebord de la fenêtre. Photographe et sujet échange un regard, aussi étonnés et fascinés l'un que l'autre.
La nuit tombe, mais les Jaseurs sont toujours là, leurs clochettes résonnent toujours sur les pommiers. Clochettes… Ca rappelle à notre papi les bons vieux souvenirs de son enfance, les clochettes de Saint Nicolas, en décembre, et les histoires de l'intarissable aïeul qui connaissait tout de la nature : justement, n'y en avait-il pas une qui parlait d'oiseaux aux cris de clochettes ? Si, elle est encore là, dans un de ces vieux cahiers dans lequel un cousin oublié a consigné tous ces contes et légendes. Le vieux tourne les pages, et lit : les Jaseurs, les anciens connaissaient bien : ils annonçaient les famines, les épidémies, les guerres… Les Jaseurs étaient responsables de tous les maux du monde, et leurs invasions étaient synonymes de désastres… Le grand-père referme le vieux cahier. Non, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas possible qu'un si joli oiseau puisse avoir une telle réputation. Les anciens ont eu tort : le Jaseur est le plus bel oiseau du monde, la preuve : ça faisait plus de vingt ans que le bonhomme de la zone industrielle n'avait plus souri…
Il est minuit, mais le soleil luit encore. Dans la taïga, une clochette résonne. C'est celle de l'ami de notre vieux bonhomme, le Jaseur, qui a rejoint sa grande maison, la forêt boréale.
Fiche signalétique
Jaseur boréal
Bombycilla garrulus (Linné)
Monotypique.
- Etymologie : * Bombycillidés : - vient du grec bombus : ver de soie et du faux mot latin "cilla" : queue
* garrulus : - signification latine : bavard ou jaseur
- Ordre :
- Strigidae
- Famille :
Bombycillidés
- Dimensions :
- Longueur : 20 cm - Envergure : 35 cm
- Poids :
- 40 à 70 grammes
DETERMINATION
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- Critères de reconnaissance du Jaseur boréal :
- Plumage :
- Plumage :
- Poitrine , huppe et manteau beige clair; joues rosées.
- Ailes noires, avec un liseré jaune sur le bord des tertiaires, plus ou moins net selon l'âge de l'individu. Large barre alaire blanche sur les secondaires, qui portent éventuellement des appendices rouges vif (plus ou moins nombreux selon l'âge et le sexe).
- Les sous caudales sont rouges foncé, et les rectrices noires, terminées par une barre jaune.
- Reproduction :
- Oiseau très sociable, le Jaseur niche en colonies.
- Il élève des jeunes qui restent au nid une quinzaine de jours après la ponte.
- Les détails de la reproduction sont assez mal connus.
- Régime alimentaire :
- Principalement granivore et frugivore.
- En hiver, se nourrit surtout de baies (cynorrhodons)
- Voix :
- le cri est un trille assez bref, discret, rappelant un tintement de grelot.
- Migration :
- Oiseau des forêts boréales : le Jaseur niche dans toute la taïga, des forêts nordiques de Norvège à la Sibérie et à la taïga Polonaise.
- Les oiseaux les plus nordiques descendent chaque hiver jusque dans les jardins du Sud de la Scandinavie.
- Périodiquement, en fonction des ressources alimentaires, les Jaseurs se déplacent en grand nombre vers l'Europe de l'Ouest : il s'agit d'invasions ; au rythme d'une tous les 10 ans environ.
- Le phénomène s'accentue à peu près tous les 20 ans, où de très grandes troupes peuvent être observées. Cette périodicité est bien sûr très théorique.
- Les deux dernières invasions importantes ont eu lieu en 1988-89 et 2004-2005, cette dernière ayant atteint des effectifs record en France (de 15 à 20 000 individus)
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Bibliographie
° Géroudet P. et Cuisin M., Les passereaux d'Europe T1, Delachaux et Niestlé
° Pierre Cabard et Bernard Chauvet, L'étymologie des noms d'oiseaux, Ed Belin
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Jean-Yves Barnagaud
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