"Vous vous êtes déjà faits engueuler par un buisson ? " Quand Tonton Robert a lancé ça, entre le fromage et le dessert, lors de la traditionnelle fête de famille, on a cru qu'il avait vidé un verre de trop. Mais on a quand même écouté la suite.
"C'était en plein mois de mai, dans une tourbière bretonne. Un vrai concert : des Rousserolles, des Bruants, Fauvettes… Le gratin des oiseaux chanteurs. Et, d'un coup, j'ai sursauté : le vieux saule contre lequel je m'étais assis venait de glapir, un peu à la manière de la vieille Germaine, quand on marche sur ses salades. Ca a bien dû résonner à cinq cent mètres à la ronde…
Bien évidemment, je me suis retourné, complètement éberlué. J'ai regardé le buisson : parfaitement banal, bien entendu. J'ai jeté un œil entre les branches… Et ça a recommencé : le même cri, la même invective, qui semblait provenir des branches les plus basses de l'arbre. Et là j'ai compris : devant moi se tenait un minuscule petit oiseau marron, qui, d'ailleurs, n'a pas tardé à s'enfuir.
On dit que les plus petits sont aussi les plus teigneux : ça marche aussi pour les oiseaux. J'ai vite retrouvé le piaf en question : pas difficile à repérer, avec ce chant. J'ai sorti mes vieilles jumelles, et observé. Un dos entièrement marron, un peu de blanc à la gorge… et c'est tout ce que j'ai pu voir, l'oiseau était reparti. Je l'ai recroisé un peu plus loin : sans doute trop près à son goût, car j'ai à nouveau eu droit à ce charmant couplet crépitant et sifflant, qui donne l'impression qu'on n'a rien à faire là. Mais cette fois, l'oiseau n'est pas parti.
C'était une Fauvette. Pas de doute, le bec assez long et fin, la forme effilée et l'agitation de l'oiseau en disaient assez. Mais laquelle ? Jamais vu de Fauvette, ni de Rousserolle, aussi trapue et avec une queue si large, presque disproportionnée. Sans parler du chant : il ne ressemblait vraiment à aucun autre. Le plumage était un peu celui d'une Rousserolle, marron foncé sur le dessus, blanc sale en dessous ; avec cette gorge blanche bien visible. Les joues étaient grises, comme le très vague sourcil, qui donnaient à ce piaf un air encore plus farouche.
Rentré chez moi, je me suis rué sur le vieux guide d'ornithologie qui trône toujours sur la table du salon. La Bouscarle… Mon oiseau s'appelait la Bouscarle de Cetti, célèbre pour son chant explosif qui résonne çà et là dans les tourbières et les marais. Pas près de l'oublier, cette Bouscarle : quel culot… Engueuler comme ça un simple passant qui s'abritait sous un vieux saule… "
Encore une fois, Tonton Robert avait séduit son monde, à l'aide d'un simple petit oiseau d'une douzaine de centimètres. Et encore une fois, nous réalisions que la Nature est sans doute le plus étonnant des spectacles. Même si elle se montre parfois un peu… brusque.