LE BUSARD SAINT MARTIN

Juin, déjà. Les blés sont encore verts, mais déjà hauts. Dès 10 heures du matin, les brumes de chaleur troublent l'air chaud, qui reste pourtant léger, car un petit vent d'Est balaie la plaine, ventilateur bien agréable d'ailleurs. Au loin, le chant du Coucou résonne depuis un petit bois, tandis que les Fauvettes grisettes répètent inlassablement leurs notes grésillantes.

Une forme surgit, glisse lentement au dessus du blé, plonge, remonte et reprend son chemin. Un grand planeur gris clair, au bout des ailes noir, qui semble régner en maître sur le champ : à son passage, Bruants, Fauvettes, Pipits se taisent. Il est bientôt rejoint par un autre planeur, plus sombre, avec un curieux macaron blanc à la base de la queue. Le couple de Busards Saint-Martin a repris possession des lieux depuis deux bons mois, déjà.

L’oiseau gris plonge, ressort du blé, un campagnol dans les serres. L’autre le rejoint, se retourne, les serres vers le haut, et récupère le campagnol que le premier vient de laisser tomber. Impressionnant numéro digne des plus grands trapézistes, pour l’œil de l’observateur qui contemple la scène depuis le chemin. Pour les Busards, il s’agit tout simplement d’un bête ravitaillement : la femelle, qui couve, attendait depuis le matin le retour de monsieur, chargé du panier-pique-nique. C’est comme ça chez les Busards : la femelle au foyer, le mâle au travail… Du moins jusqu’en Juillet..

Mi-juin, c'est l'époque de l'éclosion des jeunes. Il n'est plus temps de chômer : les deux parents partent en chasse, pour ravitailler des petits qui doivent grandir au plus vite… Ils grandissent un peu trop, d'ailleurs : en 3 semaines, ils sont plus lourds que leurs parents ! Mais cela ne durera qu'un temps : peu à peu, les jeunes doivent apprendre à dépecer leur nourriture seuls, pendant que leur duvet tombe, laissant place à un véritable plumage de planeur débutant. Un peu plus d'un mois après l'éclosion, les trois ou quatre jeunes qui ont survécu à la dure, mais inévitable lutte fratricide pour la nourriture, obtiennent leur brevet de pilote, et commence à sillonner le champ, derrière leurs parents. Evidemment, les premiers essais ne sont guère plus glorieux que ceux de l'avion des frères Wright… Les crash sont nombreux, heureusement sans mal : une plume ne casse pas aussi facilement qu'une carlingue rigide. Mais, à force de persévérance, les jeunes deviennent autonome, aptes à terroriser Campagnols et Alouettes : il est temps désormais de s'exiler, car les parents commencent à en avoir par dessus la tête, de ces gamins parasites qui ont peur de sortir du champ…

Enfin, ça, c'est le scénario idéal. Idéal, parce que juillet, c'est aussi l'époque de la moisson. Le couple du champ d'à côté l'a appris à ses dépends… Arrivés un peu tard, les Busards ne se sont pas pressés plus que d'habitude, pour construire l'aire, cuvette de brindilles à ras du sol, comme de coutume. Si bien que mi-juillet, les jeunes étaient encore cloués au nid, tandis que leurs congénères, quelques centaines de mètres plus loin, maîtrisaient déjà -plus ou moins- atterrissage et décollage. Mais voilà… Mi-juillet, les blés sont dorés, et pas question pour Marcel, le fermier du coin, de laisser sa récolte aux fourmis : peu à peu, les tranchées se rapprochaient de l'aire, inexorablement. C'est ainsi qu'un jour, l'ouvrier de Marcel découvrit une boule de plumes et de chair au fond de la remorque à grain… Comment pouvait-il savoir que des Busards se cachaient dans ce champ ? S'ils s'en étaient aperçu, bien entendu que ni Marcel, ni l'ouvrier n'auraient laissé faire un tel carnage : il suffisait de pas grand chose : les gardes de l'Office National de la Chasse auraient tout simplement transporté les jeunes un peu plus loin, là où le champ était déjà moissonné… Trop tard, désormais : il ne restera que la nichée du premier champ, celle qui a eu le temps de s'envoler avant que la moissonneuse de Marcel ne passe.

Mi août : les Campagnols n'ont plus rien à craindre : la famille de Busards s'est dispersée, dans sa route vers le Sud. Les jeunes tenteront peut-être de passer les Pyrénées, en compagnie de Busards cendrés ; ou resteront, à l'image de leurs parents, à errer jusqu'à la prochaine saison nuptiale. Plus rien à craindre, les campagnols ? Ben, si, en fait : un nouveau Busard, venu d'Allemagne, a décidé d'hiverner sur les terres de Marcel. Marcel qui, tout heureux de pouvoir enfin essayer la paire de jumelles que lui a offert son petit-fils pour son anniversaire, suit les évolution du Baron gris, en se promettant de bien surveiller les nichées, l'an prochain.





Fiche signalétique



Busard Saint Martin
Circus cyaneus (Linné)
Monotypique.

  • Famille :

    - Busards

  • Autre nom :

    - Jean-le-Blanc (à ne pas confondre avec le circaète)



  • Dimensions :
  • - Longueur : 50 cm

    - Envergure : 105 cm

  • Poids :
  • - de 300 (mâle) à 550 (femelles) grammes

    DETERMINATION
  • Critères propres aux Busards :

    • • Rapaces de taille moyenne, élancés.
    • • Grande queue, ailes étroites, proportionnellement longues, aux extrémités arrondies.
    • • Souvent aperçus en chasse au dessus des champs, semblant glisser sur l'air, à faible hauteur.
    • • Dans nos régions, trois espèces sont présentes :

    • - le Busard des roseaux, hôte régulier des roselières, au plumage marron, et deux Busards gris pâle, adeptes des champs (blé surtout) : le Busard Saint Martin, assez commun, et le Busard cendré, plutôt rare.





  • Critères de reconnaissance du Busard Saint-Martin :

    • Plumage :

      • • Mâle : Dessus des ailes gris clair uni, avec les rémiges primaires noires. Dessous des ailes blanc, corps gris. Le bout de la queue est noir. La confusion est possible avec le Busard cendré :cependant, ce dernier possède des ailes rayées de noir en dessous, et une barre alaire noire sur le dessus ; il est de plus bien plus effilé
      • • Femelle : Globalement marron, avec le croupion blanc, très visible. Nombreuses rayures sur les ailes, plus grossières que chez la femelle de Busard cendré. Le jeune a un plumage similaire.


    • Nid (aire) :
      • • Large cuvette (50 cm de diamètre) de brindilles posée au sol, dans une jachère ou un champ cultivé.

    • Ponte :

      • • 4 à 7 oeufs en moyenne, ponte à partir de mai.
      • • La femelle couve un mois, puis deux semaines après l'éclosion.
      • • Les jeunes sont capables de se nourrir seuls à l'âge de 4 semaines, et s'envolent peu après. L'apprentissage du vol dure de 3 semaines à 1 mois, puis la famille quitte les lieux et se disperse, vers la mi-août.

    • Régime alimentaire :
      • • Beaucoup de rongeurs : Campagnols, notamment.
      • • En été, le Busard Saint-Martin chasse aussi des passereaux, comme les Alouettes, les Bruants, voire même des limicoles ou des canetons.
      • • Dans une moindre mesure, les insectes et reptiles peuvent entrer dans son alimentation.

    • Migration :

      • • Au Sud et dans le Centre de la France, les Busards Saint Martin sont généralement erratiques.
      • • Certains individus migrent, d'autres sont sédentaires.
      • • Dans le Nord, ils sont beaucoup plus mobiles et descendent largement vers le Sud, dès fin août.


Bibliographie

• Géroudet P. et Cuisin M., Les Rapaces d'Europe, Delachaux et Niestlé
• Gensböl, Les rapaces diurnes, Delachaux et Niestlé

Jean-Yves Barnagaud